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Portrait de Lucille, Vallons de laine

Comme chaque mois, découvrez le portrait d’un·e professionnel·le adhérente de la Maison des Arts du Fil !

Comme chaque mois, découvrez le portrait d’un·e professionnel·le proposant des ateliers au sein de la Maison des Arts du fil ! Aujourd’hui, coup de projecteur sur Lucille, lainière depuis quelques années. Elle est aujourd’hui à la tête de sa propre activité : Vallons de Laine.

 

Bonjour Lucille, pour commencer est-ce que tu peux te présenter rapidement ?

 

Aucun problème alors bonjour, je m’appelle Lucille Chanel, j’ai 44 ans, j’habite un petit village qui s’appelle Renac sur la route de Redon et je suis animatrice et formatrice lainière. Une lainière c’est quelqu’un qui travaille ou qui vend de la laine, et c’est vrai que j’ai remarqué que c’est un mot que les gens se sont réapproprié ces derniers temps, notamment des gens comme moi, qui ont un lien avec cette matière.

 

 

Super merci pour cette présentation rapide ! Pour commencer, comment cette passion s’est-elle transformée en métier ?

En fait je travaillais et je travaille encore dans l’informatique mais en 2012 j’ai fait un burn-out qui a amené à une rupture conventionnelle avec mon entreprise. Dans la foulée, un mois après m’être retrouvée au chômage, je me suis cassé un pied en tombant dans l’escalier ! Et dans un sens je pense que j’avais « besoin » d’être bloquée, de ne plus pouvoir bouger pour pouvoir enfin me reposer. C’est vrai que quand on ne peut rien faire, les journées sont assez longues donc je me suis dit « Ah bah chouette je vais pouvoir me remettre au tricot ! ». J’avais appris à tricoter petite avec ma maman, et ma grand-mère tricotait beaucoup aussi donc j’ai très tôt baigné dans cet univers. Je me souviens notamment avoir fait des pulls pour des bébés, avec l’aide de ma maman. Et donc je me souviens être allé chez Phildar avec mes béquilles et mon pied cassé, et avoir fait pas mal de stock. Et je n’ai jamais reposé mes aiguilles depuis. C’est vraiment quelque chose qui me pose et qui me fait du bien. Je pense que j’avais vraiment besoin de faire quelque chose de concret professionnellement parlant, que je puisse expliquer facilement aux gens qui m’entourent. Par exemple j’ai fini un pull l’été dernier que j’ai entièrement fait c’est-à-dire que j’ai récolté la laine, je l’ai lavée, je l’ai cardée (c’est-à-dire brossée), je l’ai filée et je l’ai tricotée.

Donc si tu veux faire un pull, techniquement parlant, est-ce que tu peux nous expliquer comment transformer la toison du mouton en pelote de laine ?

Alors la première étape c’est de tondre le mouton, chose que je fais très peu mais que j’ai appris quand même. C’est vrai que c’est un travail assez physique et que tu n’as pas le droit à l’erreur parce que certains moutons sont aux aguets et s’ils sentent qu’il y a une posture sur laquelle tu n’es pas à l’aise, ils envoient un coup de sabot et ça peut-être très dangereux. Sans compter que tu peux aussi te retrouver à courir après un mouton qui a la moitié de la laine derrière, bon ça c’est plus comique que dangereux mais bon si on peut éviter c’est tout aussi bien !
Et il peut aussi y avoir un danger pour l’animal. Moi je n’ai appris qu’à tondre aux forces, ce sont des ciseaux très longs et très affutés spécifiques à la tonte des moutons, et donc si le mouton fait un mouvement que tu n’as pas anticipé tu peux sans le vouloir le blesser gravement. C’est également dangereux pour nous, moi par exemple en période d’apprentissage j’ai eu des bleus en forme de sabots de moutons, et je me suis fait recoudre la main parce que je m’étais planté les forces dans la main.
En vérité même avec une tondeuse à moteur, le danger est présent. Voire souvent les blessures sont plus importantes, parce que tu es entrainé par le moteur et on s’en rend compte plus tard.

Donc si on résume tout ça, la première étape c’est donc de tondre l’animal. Petite question pratique : comment est-ce qu’on choisit entre la tondeuse électrique ou les forces ?

Déjà tout le monde n’utilise pas forcément les deux méthodes, donc quand tu n’en maîtrise qu’une, le choix est vite fait. Et pour ceux qui maîtrisent les deux, il y a plusieurs critères qui vont t’aider à choisir le bon outil : la taille du troupeau déjà, ensuite la praticité. Sachant que le choix de l’outil de tonte peut également impacter la qualité de la laine. La machine permet une tonte à ras la plupart du temps, mais ce type de tonte va stresser le bulbe pileux qui va arrêter de produire de la laine pendant 2 à 3 semaines. Donc dans les pays qui valorisent vraiment la laine, on tond aux forces pour ne pas perdre de laine sur la récolte de l’année d’après. Et pour la même raison c’est intéressant de laisser de la laine si l’hiver est rigoureux, ou si l’animal est très exposé au soleil, la laine est anti-UV donc ça les protège d’à peu près tous les aléas climatiques.

Ok ! Donc effectivement l’outil de tonte est ultra important ! Et si je comprends bien la personne qui tond l’animal n’est pas forcément celle qui va filer la laine ?

Non pas forcément, en fait ce n’est vraiment pas le même métier. Il faut savoir qu’il y a beaucoup de tondeurs « loisirs », parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont juste 2 ou 3 moutons dans leur jardin, donc trop peu pour faire appel à un tondeur professionnel mais en même temps il faut quand même les tondre ! Ça peut donc être un éleveur qui le faisait lui-même mais qui maintenant est retraité donc il le fait juste pour donner un coup de main, ou juste quelqu’un qui aime tondre mais qui ne veut pas en faire son métier principal.

C’est noté ! Et la tonte de l’animal, quelle est l’étape suivante ?

Alors après la tonte il faut trier. La plupart des gens ne savent pas ce que vaut la laine et ne savent pas non plus comment faire en sorte qu’elle ne perde pas de sa valeur, c’est pour ça que c’est important pour moi d’être sur le chantier de tonte. Déjà pour le lien avec les éleveurs et les animaux, mais aussi et beaucoup pour veiller à la propreté. Dans l’idéal dans les fermes on met en place des salles de tonte qui sont propres, et dans lesquelles on passe le balai même entre chaque tonte de mouton pour ne pas contaminer la laine des uns et des autres. A savoir que les moutons même au sein d’un même troupeau n’ont pas forcément la même laine, certaines laines peuvent être de meilleure qualité. Moi je viens toujours avec une table de tri, donc c’est une table avec des trous, pour que les impuretés puissent tomber : les végétaux, les fausses coupes (quand le tondeur passe plusieurs fois et que ça fait des petites bouloches). Quand on tond un mouton, on récupère une toison entière et quand on l’étale sur la table, on retrouve la forme du mouton, c’est assez drôle ! D’ailleurs on parle de laine mais dans une toison il y a de la laine, du poil et du jarre. En fait ce sont 3 fibres qui ont chacune des propriétés différentes, le poil peut être intéressant car c’est une fibre assez épaisse et très solide, pour faire des tapis par exemple c’est l’idéal. La laine c’est beaucoup plus fin, beaucoup plus frisé, ça ne capte pas la teinture de la même façon, l’isolation est différente. Et le jarre c’est très épais, c’est pointu des 2 côtés, en fait les agneaux naissent couverts de jarre pour les protéger, qui va ensuite tomber et peut repousser plus tard dans la vie du mouton ou pas. Pour le coup le jarre ça pique vraiment, on ne peut rien en faire en tant que fibre. Par contre c’est inévitable quand il y en a dans la laine on ne peut le retirer sauf si tu y passes plusieurs heures avec ta petite pince à épiler mais ça n’aurait aucun sens de le faire. Donc pendant cette étape de tri, je vais également déborder la toison, c’est-à-dire tout simplement enlever les bords pour avoir une toison uniforme en termes de qualité. Par exemple ce matin on a tondu des moutons de Ouessant, dont les toisons sont très feutrées à l’encolure donc j’ai enlevé l’encolure. Et à savoir : on a beaucoup de races en Bretagne dont les moutons de Ouessant, les Landes de Bretagne et les moutons de Belle Ile.

Une fois le tri terminé, c’est l’étape du lavage c’est ça ? Est-ce qu’il existe une manière particulière pour laver la laine sans l’abimer ?

On la lave avec de l’eau tout simplement ! On essaye de l’abimer le moins possible en utilisant une sorte de lessive. Il faut savoir qu’une toison est composée à 50% de son poids de suint, c’est un mélange de transpiration et d’une sorte de graisse, la lanoline. C’est connu pour être une base de cosmétique et pour soigner les crevasses pour les femmes qui allaitent ! Nous ce n’est pas ça qui nous intéresse et de toute façon en lavant la toison, la lanoline part avec l’eau. C’est un peu compliqué de laver la laine chez soi dans son jardin, notamment parce que ça demande du temps, de l’énergie et beaucoup d’eau donc ce n’est pas écolo. Moi j’ai fait le choix de laver ma laine dans une installation de lavage près de Vannes, avec qui je travaille. On lave quand même à la main mais l’installation a été faite de manière à utiliser le moins d’eau possible et à réutiliser la chaleur de l’eau pour nettoyer la laine. Et en plus il y a un séchoir et la laine c’est super long à sécher donc c’est un gros plus !
L’étape d’ensuite si tu veux faire du fil à tricoter, c’est de l’envoyer en filature, et la plupart du temps c’est fait de manière industrielle.

Et alors pourquoi la laine ? Parce qu’au final ça aurait pu tout aussi bien être le coton ou le lin ? Qu’est-ce qui t’as fait choisir cette fibre en particulier.

Je pense que c’est lié au fait que souvent quand on parle de tricot on parle de laine. D’ailleurs moi j’achetais des pelotes de laine, donc j’ai commencé à regarder les étiquettes et je me suis aperçue qu’il y avait très peu de laine dans les pelotes que j’achetais. Par contre il y avait beaucoup d’acrylique, je me suis demandé de quoi était composé l’acrylique, et effectivement c’est du pétrole… J’étais déjà dans une démarche dans laquelle je voulais relocaliser mon alimentation, faire attention à la qualité, la traçabilité de ce que je mangeais. Et ça a coïncidé avec le moment où je me suis installée hors de Rennes, donc je voyais beaucoup de moutons et quand je demandais aux gens ils ne savaient pas ce qu’on faisait de la laine de ces moutons. Souvent les gens me répondaient « Oh bah le tondeur me la prend, il ne la paye pas très cher mais apparemment ça ne vaut rien », j’étais assez étonnée et moi maintenant je milite pour que les gens arrêtent de dire « La laine française ne vaut rien ». C’est absolument faux ! Alors effectivement c’est ce que la plupart des éleveurs ont appris à l’école et c’est ce qu’on leur dit pour acheter la laine à des prix complètement dérisoires. Donc oui la laine française a de la valeur et peut être de qualité. Dans ce cas précis, c’est intéressant de faire un focus historique sur le délainage pour remettre un peu de contexte. Le délainage, qui consiste à séparer la laine du cuir des animaux, après leur abatage, est arrivé en France au XIXe siècle, ce matériau était tellement précieux et était tellement recherché, que pendant un temps on a employé beaucoup de ressources et d’argent pour en perdre le moins possible.

Eh bien on retiendra que la laine française a de valeur et peut être de bonne qualité ! Et est-ce que tu peux nous parler un peu plus de Vallons de Laine et de ta façon de travailler ?

Alors je ne l’ai pas dit jusqu’ici mais depuis 3 ans maintenant, on s’est regroupé à plusieurs lainières de la région, étalées sur 3 départements via La Brigade d’Intervention Lainière, notre propre collectif de 7 supers nanas ! Du coup on mutualise le tri, le lavage, le stockage et parfois la filature, et le fait d’être à plusieurs ça nous permet d’accéder à des quantités pour prétendre à des services dit « industriels ». Par exemple on a une tisserande dans l’équipe qui va récupérer les fils à tricoter pour son activité, elle consomme énormément de fil, et depuis qu’elle a commencé elle veut vraiment avoir de la laine locale et malheureusement ce n’est pas si facile à trouver. De pouvoir elle-même faire son propre fil à tricoter, ça lui change clairement la vie.
Et c’est vrai que les filles sont devenues un vrai soutien, parce qu’on partage des adresses, des acteurs. On s’entraide, on s’aide à monter les projets c’est vraiment hyper enrichissant.
Et Vallons de Laine, parce que j’avais envie de faire un lien au territoire et à la Vilaine. Et j’ai habité et beaucoup aimé le pays des Vallons de Vilaine alors je n’y suis plus mais je ne suis pas super loin donc j’ai voulu faire un clin d’œil. Je voulais vraiment avoir cette notion de territoire, faire référence aux moutons que l’on voit un peu partout en Bretagne.

Je remarque quand même que les arts du fil sont souvent pratiqués par des femmes. Est-ce que c’est quelque chose que tu remarques également dans le secteur de la laine ?

Déjà il y a de plus en plus de femmes qui tondent en Bretagne donc ça c’est cool, c’était moins vrai quand j’ai commencé mais maintenant je pense que ça s’équilibre. Alors je schématise mais souvent les hommes sont quand même tout en muscle et en force alors que les femmes sont plus dans l’économie et la douceur. Bon après c’est une généralité mais c’est une petite tendance que je remarque, en tant que femme on a tendance à plus s’écouter et à moins forcer. Mais alors des lainiers-hommes je n’en connais aucun qui ne fasse que ça, en tant qu’activité professionnelle principale.
Je pense que c’est vu comme une activité qui ne demande pas de compétence, un peu comme le travail domestique en fait on s’éclate donc pourquoi on devrait être payé. C’est vrai que les gens ne se rendent pas compte du travail derrière, c’est un travail qui a vraiment tendance à être invisibilisé.

Et concrètement, si on veut venir te rencontrer pour échanger ou se former autour de la laine, comment on fait ?

Alors je fais quelques marchés sur lesquels je vends des kits créatifs. Je n’en fais pas énormément pour le moment mais dès que j’en fais je l’indique sur mon site pour que les gens puissent être au courant.
J’ai aussi l’envie de proposer des ateliers, et j’ai plein d’idées donc tout est en train de se construire en même temps, avec la Maison des arts du fil et également de mon côté. C’est vrai que vu que je continue à travailler également dans l’informatique pour le moment de mon côté, je ne peux pas consacrer autant de temps que je voudrais à l’organisation d’ateliers et de formations mais j’ai bon espoir d’y arriver sous peu. En revanche je réponds aux demandes que l’on m’envoie, par exemple la semaine dernière j’ai fait une animation avec la fondation Yves Rocher. Je pense qu’à la rentrée j’aurais plusieurs offres à proposer, notamment peut-être une formule de café-filage pour un public sachant filer – ou pas.
Je fais beaucoup de formations également, je suis notamment prestataire d’un organisme de formation l’École de la laine à Vasles (79) dans lequel j’interviens dans 2 formations : une formation sur le tri des toisons et une formation au filage. Et là pour le coup il reste des places pour la prochaine session de filage le 10 et 11 juin 2024 donc n’hésitez pas à vous inscrire ! Et détail qui n’en est pas un : ce sont des formations professionnelles qui peuvent être financées via France Travail et les OPCO.

Merci pour tout Lucille, ça a été un vrai plaisir de pouvoir échanger avec toi !

Vous l’aurez compris notre lainière préférée à la tête pleine de projets, si vous souhaitez suivre son actualité, n’hésitez pas à la suivre sur Instagram @vallons_de_laine ou Facebook https://www.facebook.com/vallonsdelaine. Vous pouvez également vous inscrire à sa newsletter sur https://vallonsdelaine.fr/ (remplir le petit formulaire en bas de page). Et si vous avez des questions ou des demandes à adresser à Lucille, vous pouvez la contacter en remplissant ce formulaire : https://vallonsdelaine.fr/contact/

 

 

Article rédigé par Fiona COYERE

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